l’eau et le bois

Mandatée par le Comité de Coordination Culturel Chênois, j’ai organisé les Biennales en Plein Air d’Artchêne, pour les communes de Chêne-Bougeries, Chêne-Bourg et Thônex du canton de Genève. Mon travail de coordination générale a consisté à sélectionner des artistes, rechercher des fonds, mettre en œuvre et suivre les expositions de « L’Eau, le Bois » en 2004, de « Migrations » en 2006 et d’« Escales » en 2010.

Artchêne – L’eau et le bois 2004

Extension du paysage

     « L’action que je prône ne se cantonne pas au seul domaine de l’art,

     il le dépasse et concerne le corps social dans sa totalité »

                                                                                           Joseph Beuys

 

Quand la sculpture s’installe en plein air dans le paysage l’espace qui l’accueille déploie soudain de nouvelles dimensions car, en effet, toucher la terre, c’est agir sur une certaine conception de la nature, lui imprimer les aspirations d’une époque, qu’elles soient politiques, économiques, culturelles ou éthiques. Le lieu, parc ou jardin, s’incorpore à l’objet artistique et de cette fusion entre l’environnement extérieur et la structure d’une forme plastique, naît une perception élargie de l’espace et du temps, décuplant la force poétique des œuvres comme celle du paysage.

Toute l’histoire de la sculpture interpelle les lieux architecturés par l’homme. Aujourd’hui encore, les œuvres d’art participent à la constitution du tissu de la ville moderne. Mais plus que jamais l’omniprésence technologique et scientifique qui unifie les espaces publics, nécessite la création de zones à respiration métaphorique où l’homme puisse renouer avec les sensations de l’espace, redéfinir sa place dans le corps protéiforme de la cité, s’éprouver en éprouvant le monde, grâce aux objets d’expérimentation physiques, émotionnels, spirituels, que la sculpture soumet à ses sens.

Mais qu’est-ce que la sculpture en 2004 ?

Depuis le début du vingtième siècle, cette expression a connu une évolution spectaculaire, bouleversant autant son mode de perception que sa pratique et ses fonctions. D’abord on a vu l’abandon de la figuration au profit de l’abstraction, du langage géométrique ou symbolique. Ensuite la libération du volume de la masse a permis de considérer le « vide » comme un principe actif et constitutif de l’espace sculptural, rendant possible l’allègement des structures, leur dispersion modulaire ou, à l’inverse, l’assemblage de fragments ou d’objets hétérogènes. Mais une des grandes aventures de la sculpture contemporaine survient dans les années soixante, lorsque des mouvements comme le Nouveau Réalisme, l’Arte Povera, le land Arte ou le Minimal Art, préconisent sur fond de contestation sociale, un art « d’attitude » par lequel il s’agit d’intervenir dans le réel afin de rendre perceptibles des phénomènes plutôt que des objets. En 1970 le sculpteur américain Robert Morris proclame le remplacement du « figurative mode of sculpture » par un « landscape mode », le champ opérationnel de la sculpture s’étend désormais à l’espace tout entier, on parle alors de « spatialité sans chose » . Cette logique d’extension et de suspension de la notion « d’objet artistique » rend souvent impossible l’enfermement muséal des œuvres comme leur marchandisation, mais en revanche, elle favorise leur retour en force dans l’espace public. Sur le plan des valeurs, Pierre Restany a souligné qu’avec cette nouvelle conception de la sculpture, « l’art a définitivement basculé dans la morale, l’esthétique dans l’éthique ». Car en investissant le territoire, la rue, l’artiste désire adhérer à son époque, faire appel aux sens, court-circuiter la compréhension intellectuelle, explorer les modes de perception les plus élémentaires, établir une communication au-delà du langage et des codes culturels, bref créer une nouvelle Agora où l’on disserte autrement des affaires du monde.

Conçue et organisée par les communes de Chêne-Bougeries, Chêne-Bourg et Thônex, l’exposition « Art en plein Air » propose dans cinq parcs du domaine public et privé un parcours offrant la possibilité à chacun de découvrir les principales tendances de la sculpture contemporaine. Autour des thèmes de l’eau et du bois, plus d’une trentaine d’artistes ont investi ces territoires pour y décliner autant de propositions qui agissent comme de véritables catalyseurs invitant à ouvrir de nouvelles perspectives sur l’état de nos relations avec les fondamentaux de la vie.

Françoise-Hélène Brou

Historienne de l’art

Mise en oeuvre : Artchêne, Coordination générale : Fabienne FoL, Administration : Catherine Origa, Régie des oeuvres : équipes techniques des mairies,  Graphisme : Marie-Noëlle Leppens